Critiquer une madeleine de Proust n’est jamais chose aisée. Surtout quand il s’agit de celle dont vous vous êtes le plus goinfré(e), celle qui vous a fait vous lécher les babines une bonne centaine de fois depuis votre tendre adolescence et celle qui a toujours la même saveur malgré les années qui défilent. Dirty Dancing est une de ces madeleines pour nombre d’entre nous. Et aujourd’hui, il n’y a plus de honte à l’admettre. Au contraire, il est presque devenu hype d’afficher fièrement un « On laisse pas Bébé dans un coin » sur son totebag ou encore de s’entraîner à faire des portés pour draguer. Preuve en est, même Ryan Gosling (Crazy, Stupid, Love) et Romain Duris (L’arnacœur) s’y sont mis. Bref, plus de 30 ans après sa sortie, il semblerait bien que la Danse lascive, comme l’appellent les Québécois, fasse toujours vibrer les cœurs et trémousser les popotins.
Cependant, si l’on essaie de faire abstraction de cet adoration aveugle, il faut bien l’avouer : Dirty Dancing est vraiment à mille bornes de révolutionner le cinéma. Son scénario a tout ce qu’il y a de plus banal : dans les années 1960, Bébé, une jeune fille bon chic bon genre, et Johnny Castle, le prof de danse d’un camp de vacances, vivent une love story à l’eau de rose. Les dialogues sont plutôt ridicules, ce qui, sûrement involontairement, a donné naissance à quelques répliques cultes comme « Johnny, arrête de courir après ton destin comme un cheval sauvage » ou « C’est pas un crime de porter des pastèques » (pour ne citer qu’elles). Les personnages sont stéréotypés à souhait, à commencer par Johnny le vrai/faux rebelle qui passe tout son temps torse nu et Bébé, sorte de jeune idéaliste très agaçante qui va découvrir la vie. Les tableaux de danse ne sont pas toujours magnifiquement filmés, à l’exception de la scène finale qui, on doit l’admettre, vaut quand même le coup d’œil. Et le pire est sûrement que tout cela manque cruellement de second degré. Là où le Grease de Randal Kleiser s’amusait, le Dirty Dancing d’Emile Ardolino se veut sérieux et cucul la praline à souhait.
MAIS ! Mais malgré toutes ces imperfections, Dirty Dancing fait aujourd’hui partie des films cultes d’une, voire deux générations. Alors on peut se demander pourquoi. Chacun(e) aura probablement sa raison très personnelle. Il y a certes cette bande-originale mythique largement reprise et réinterprétée pour le meilleur et surtout pour le pire. Mais au-delà de l’aspect musical, un phénomène étrange semble tout de même se répéter chez un certain nombre de personnes. Imaginez, vous avez entre 10 et 15 ans, vous découvrez pour la première fois cet homme à veste en cuir qui danse le mambo comme un dieu. Et là, en avant pour l’éveil des sens ! Vous vous fichez pas mal de Bébé (désolée Jennifer Grey) qui est somme toute un peu comme vous, autrement dit, pas simple, basique, mais juste normale. Alors si ça arrive à une fille comme Bébé, pourquoi pas à vous ? Après tout, vous avez tellement envie d’être à sa place pour aller manger des crêpes avec Johnny (les vrais savent), ou plutôt, parce qu’il est plus que temps de lui dédier ses lignes, avec celui qui lui prête son déhanché et sa gueule d’ange…
Car oui, c’est bien Patrick Swayze qui porte Dirty Dancing au rang de culte. Non pas grâce à son jeu remarquable, ou à cause de sa disparition prématurée, mais simplement en raison de tous les sentiments addictifs qu’il a déclenchés chez nombre d’adeptes. Certains le suivront par la suite dans Ghost et Point Break. Mais pour d’autres, il restera toujours le Johnny Castle qu’on laisse bien volontiers envahir son espace. Et même si ceux-là passent pour des groupies, on vous avait prévenus : critiquer une madeleine de Proust n’est jamais chose aisée. Alors, mieux vaut croquer dedans encore, encore et encore, pour ne jamais la laisser dans un coin…
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DIRTY DANCING – Sortie le 23 décembre 1987
Genre : romance, film musical
Réalisateur : Emile Ardolino
Scénariste : Eleanor Bergstein
Musique de : John Morris
Avec : Patrick Swayze, Jennifer Grey, Cynthia Rhodes, Jerry Orbach, Kelly Bishop, Jane Brucker, Jack Weston, Lonny Price, Max Cantor…
Pour en savoir plus :
– Voir la bande-annonce de Dirty Dancing
– La fiche technique complète du film sur IMDb
– Ecouter la musique du film sur Spotify
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