Selon le Pentagone, 160 personnes ont péri sous les balles de Chris Kyle, tireur d’élite des Navy SEALs, au cours de ses quatre missions en Irak. Un lourd bilan, d’autant plus quand on sait qu’il s’agit d’un chiffre officiel et que le dit sniper a lui-même revendiqué près de 255 victimes. Lui dédier un film pouvait donc s’avérer risqué. Considéré comme « The Legend » par ses camarades, comme le « diable de Ramadi » par les insurgés irakiens, comme un héros de guerre par une partie des Américains et comme soldat brutal, voire limite raciste et sans cœur, par les autres, rien de tel pour déclencher une belle polémique. Mais à ça, Clint Eastwood répond : même pas peur !
Et oui, Clint est patriote, et ce n’est un mystère pour personne. Alors, certes, on peut s’offusquer qu’American Sniper soit une apologie de la guerre, ou une sorte de western sauvage très éloigné de la réalité du conflit en Irak. Mais difficile de dire qu’on n’était pas prévenu. Ce n’est pas à 84 ans qu’on va changer Dirty Harry. Et d’ailleurs, je ne sais pas vous, mais pour ma part, je ne préfère même pas m’y frotter…
Au lieu de ça, j’ai décidé d’aller sagement me faire mon idée sur American Sniper et de voir, du même coup, si la moitié américaine qui sommeille en moi (personne n’est parfait !) se réveillait soudain. Légèrement effrayée, tout de même, par l’élan patriotique qui risquait de s’emparer de moi (on ne sait jamais, je suis « Born in the USA », j’aime la country, le catch et les chapeaux de cowboys : PERSONNE N’EST PARFAIT !), j’ai demandé à monsieur de m’accompagner. Il a d’abord hésité, mais en découvrant mon extase devant l’affiche du film, et pensant que j’allais baver pendant 2 heures devant les muscles de Bradley Cooper, il a fini par obtempérer. Ce qu’il ignorait, à ce moment-là, c’est que je me fichais pas mal des formes proéminentes de l’ex-homme le plus sexy du monde et que j’admirais seulement le mouvement envoûtant du drapeau américain flottant dans le vent. Ce qui, d’un certain côté, est d’ailleurs beaucoup plus flippant, je l’admets. C’est donc la fleur au fusil que je me suis installée dans la salle de ciné pour découvrir, comme le disait la bande-annonce, la vie du « sniper le plus redoutable de l’histoire militaire américaine » (là, on grimpe encore d’un cran dans le flippant).
Clint ouvre justement son film sur la scène de la bande-annonce : Chris Kyle, posté sur un toit en Irak et chargé de protéger ses camarades, doit prendre une terrible décision quand une femme et un enfant s’avancent vers des Marines, une grenade à la main. Grosse tension qui laisse présager un film fort avec, en tête, un Bradley Cooper gonflé à la testostérone et méconnaissable, au point d’en oublier son regard vide ! Mais le soufflé retombe très vite pour laisser débarquer l’ennui avec ses gros sabots. « J’ai l’impression de voir une page Wikipédia sur grand écran », me souffle monsieur. C’est tout à fait ça. Clint Eastwood, qui était censé déclencher la polémique, livre un biopic linéaire qui célèbre son héros et qui, encore une fois, divise le monde en deux catégories : les bons et les méchants. Les bons font la guerre contre les méchants parce que c’est indispensable et que le bien doit triompher, quitte à ce que le héros subisse des traumatismes et ne réussisse pas à se réinsérer dans sa vie de famille normale quand il rentre au pays. Ah moralité, quand tu nous tiens ! Rassure-toi, tu tiens Clint, ça c’est sûr. En revanche, moi, tu m’as perdue.
Et attendez, le pire reste à venir. Vous vous souvenez de la mort de Marion Cotillard dans The Dark Knight Rises ? Clint Eastwood a réussi à me faire ressentir la même incompréhension hilare, et à deux reprises ! La première, en mettant un faux bébé (WTF) dans les bras de Bradley Cooper lors d’une scène de famille chargée d’émotion. La deuxième, en insérant un effet spécial foireux sur LA balle cruciale du film. A croire qu’il fait exprès de casser le potentiel dramatique de ses scènes clés…
En sortant de la séance, je m’attendais à trouver un bureau de recrutement de l’U.S. Army. Mais rien. Si les soldats avaient été là, je crois toutefois qu’American Sniper n’aurait eu aucune chance de me faire signer. Au contraire, le film m’aura rappelé que « Born in the USA » n’est pas un hymne patriotique prônant l’hégémonie américaine, mais un chant pour la paix : check Bruce !
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AMERICAN SNIPER – Sortie le 18 février 2015
Genre : biopic, guerre, drame
Réalisateur : Clint Eastwood
Scénariste : Jason Dean Hall, d’après l’œuvre de Chris Kyle, Scott McEwen et Jim DeFelice
Avec : Bradley Cooper, Sienna Miller, Luke Grimes, Jake McDorman, Kevin Lacz, Cory Hardrict, Navid Negahban, Keir O’Donnell…
Pour en savoir plus :
– Voir la bande-annonce d’American Sniper
– La fiche technique complète du film sur Allociné
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