Qu’est-ce qu’il fait noir cette nuit ! Je ne sais plus trop pourquoi j’ai décidé de rentrer à pieds chez moi à 3 heures du matin. Encore une idée stupide. Surtout que mes nouvelles chaussures sont en train de me broyer les orteils. J’ai l’impression que l’obscurité va m’engloutir. Et parce que les rues désertes n’étaient pas assez glauques, le brouillard s’est levé. Je veux mon lit ! L’obscurité se fait de plus en plus dense. Je ralentis le pas. Je suis presque arrivée, mais il faut que je traverse la rue de Bièvre. J’ai la chair de poule. On m’a raconté des choses bizarres sur cet endroit, il me fait peur. La fatigue étant plus forte que l’effroi, je prends mon courage à deux mains et je m’élance en courant. Je suis à mi-chemin quand j’aperçois des silhouettes sur la chaussée. Je ne me démonte pas. Ce doit être une bande d’étudiants saouls. J’arrête de courir pour ne pas montrer que je suis angoissée. Aïe, ils m’ont vue et ils viennent à ma rencontre. Ils sont une dizaine. Je baisse la tête.
« Eh ma jolie, qu’est-ce que tu fais seule à cette heure-ci ? »
Je les ignore et je continue à avancer.
« Tu es timide. Tu ne veux pas venir boire un verre avec nous ? »
Je passe à côté d’eux, sans ouvrir la bouche.
« Tu as perdu ta langue ? »
L’un d’eux passe devant moi et me bloque le passage :
« Et ben grognasse, tu pourrais au moins me répondre quand je te parle ! Tu nous allumes et puis tu nous snobes ?!
– Je ne vous ai pas snobés. Je veux juste rentrer chez moi ».
J’essaye de le contourner. Il m’agrippe le bras.
« Lâche-moi tout de suite ! »
Il se met à rire. Je me débats mais il resserre son étreinte et me pousse par terre. Mes genoux cognent contre les pavés. Les larmes me montent aux yeux. Les autres se rapprochent de moi, comme autour d’une proie. Je n’arrive pas à hurler. Aucun son ne sort de ma bouche. Ils rient tous comme des déments. J’arrive à me redresser et je me traîne contre un mur. Une main m’attrape par le menton et me force à me relever. La peur me paralyse.
« Alors, tu vas te montrer un peu plus respectueuse ? grogne-t-il avec un sourire pervers.
– Lâche-moi.
– Pourquoi cet air si sérieux ? »
Je lui crache au visage. Il rit de plus belle :
« On se rebiffe ? J’aime ça !
– Alors tu vas m’adorer, dit une voix grave et caverneuse à ma droite ».
C’est alors que je vois mon agresseur se faire propulser dans les airs. Il atterrit violement au sol en hurlant de douleur. De l’ombre apparaît une immense chauve-souris :
« N’ayez plus peur, je suis là ! me dit Batman en se dirigeant vers les autres ».
Alors qu’il saisit un de mes assaillants, un éclair bleu surgit de nulle part et fonce sur un des autres bonhommes. Je rêve : devant moi, deux super-héros en collants sont en train de me sauver la vie ! Batman donne des coups méthodiques, rapides et brutaux, les coudes en l’air pour protéger son visage masqué. Superman, lui, n’a qu’à tendre le poing pour envoyer ses ennemis s’écraser contre les murs. Je reste médusée sur le trottoir. Mes genoux saignent et je commence juste à réaliser que j’ai bien failli y passer. C’est alors que je vois quelque chose briller dans la main d’un homme derrière Batman :
« Attention, il a un couteau ! »
Batman se retourne d’un coup sec, mais Superman est déjà sur la crapule. Des rayons rouges sortent de ses yeux en direction de la lame. Le vaurien hurle de douleur et lâche le couteau, comme s’il s’était brûlé. En voyant cela, les deux derniers de la bande s’enfuient à toutes jambes et c’est ainsi qu’en une minute à peine, tous mes agresseurs ont été mis hors de service. Je me relève pour aller remercier mes deux sauveurs quand, tout à coup, Batman lance à Superman :
« Tu n’as pas pu t’en empêcher ? Il faut toujours que tu la ramènes ?
– Quoi ? bredouille Superman. »
Je m’arrête, aussi stupéfaite que l’homme de Krypton.
« Je m’en serais très bien sorti sans toi ! poursuit Batman.
– Je sais, je voulais seulement te donner un coup de main…
– Il faut toujours que tu cherches à avoir le beau rôle, à être le héros de l’histoire ! »
Batman commence à crier. Mais qu’est-ce qu’il nous fait ?
« Ne t’énerve pas comme ça ! sermonne Superman. Si je n’étais pas intervenu, tu aurais sûrement été poignardé !
– Et alors ? Comment je faisais sans toi ? Je m’en sortais très bien ! J’étais dans cette ville en premier. Tu n’as rien à faire ici !
– Tu n’as pas plus de raisons d’être ici que moi ! »
Je n’y crois pas. Ils se rapprochent de plus en plus l’un de l’autre. Ils vont en venir aux mains, comme deux simples… humains.
« Ce n’est pas parce que tu voles et que tu fais mumuse avec tes rayons thermiques que tu es le meilleur ! »
Ils sont tête contre tête. Ça va exploser. Il faut que j’intervienne. Il faut que je dise quelque chose !
« Non, mais vous n’avez pas bientôt fini ! »
Ils tournent la tête vers moi, stupéfaits. Je m’approche d’eux :
« Vous vous comportez comme des gamins ! Franchement, vous croyez qu’on se demande qui est le plus fort ? Et puis, non, vous n’avez pas le droit de vous prendre la tête comme ça ! Ils penseraient quoi vos fans, s’ils vous voyaient ? Ils ne peuvent même pas imaginer que ce genre de scène est possible. Alors, on se reprend, on met son ego de côté et on va combattre le crime ensemble, OK ? »
Ils restent muets. Ils se regardent, me regardent, baissent la tête.
« OK ?
– Oui, répondent-ils en cœur. »
Je respire, soulagée :
« Allez, je peux vous offrir un verre de vin pour oublier tout ça ?
– Non merci, jamais quand je vole, me répond Superman.
– Non merci, Alfred m’attend, dit Batman à son tour. »

Et aussi vite qu’ils sont apparus, mes deux chevaliers masqués disparaissent dans l’obscurité.

Un dessin de Pascal Mabille : voir son site

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Un texte inspiré de…