Le jour où j’ai voulu aller voir un film de David Lynch au cinéma

Après un mois atroce de pluie, c’est le premier jour de beau temps sur Paris. Je choisis pourtant ce moment-là pour aller au cinéma. Bien entendu, le film que je veux voir ne passe plus que dans deux salles. L’une d’entre elles se trouve à deux pas de chez moi. C’est étrange, je ne la connais pas. « Le Silencio »… Ce nom ne me dit vraiment rien. Bref, je m’en fiche, on verra bien.

Dehors, le soleil étincelle et les oiseaux ont recommencé à chanter. J’arrive devant le cinéma. Hmmm… Une enseigne bleu turquoise brille au-dessus d’un guichet peint en rouge cramoisi. Ça ressemble plus à l’entrée d’un club de striptease qu’à celle d’un cinéma. Pas de préjugé ! Ça se trouve, la salle est très bien. Je ne me dégonfle pas et je m’approche du guichet. Personne. J’attends 30 secondes pour voir si quelqu’un arrive. Rien. Je me décide à frapper contre la vitre. Toujours rien. C’est peut-être fermé. Bon, j’attends encore 2 minutes et s’il ne se passe rien, je m’en vais. Je penche la tête pour regarder en direction du couloir mais il est désert. Ça commence à devenir pénible. Je me redresse pour retaper à nouveau contre la vitre du guichet. Aaaaaaaaaaah ! Une femme portant une grande cape à capuche noire est apparue de l’autre côté de la vitre. Un frisson me parcourt le corps. On dirait une vieille sorcière. Allez, un peu de sang-froid !
« Je… je voudrais une place pour le film de 15h… s’il vous plaît ».
La femme ne bouge pas… Je suis censée faire quoi, là ? Je décide de lui sourire, on ne sait jamais. Je réessaye :
« Est-ce qu’il est possible d’avoir une place, s’il vous plaît madame ?
– UN GRAND MALHEUR VA FRAPPER ! QUELQU’UN A DE GRAVES ENNUIS ! UN MALHEUR VA FRAPPER ! »
Wowowow ! Je recule, effrayée. Elle se met à donner de grands coups contre la vitre. C’est alors qu’un homme surgit de nulle part, l’attrape et parvient à la calmer. Il se tourne vers moi. L’angoisse : il est maquillé comme Pierrot de la Lune et porte une chemise à jabot sous son costume en velours jauni. Son regard me fixe mais il n’exprime rien. Il porte à sa bouche un fume-cigarette, inspire une bouffée et recrache sa fumée contre la vitre :
« Excusez-la, elle n’a plus toute sa tête, me susurre-t-il d’une voix foutrement suave. Vous vouliez une place ? »
Je reste sans voix, la bouche ouverte. Je suis sidérée. Je finis par acquiescer de la tête et il me tend un billet. Je ne sais pas dans quoi je m’embarque encore mais c’est trop fascinant pour reculer…

Entrée dans le cinéma, je m’engouffre dans les toilettes. Waouh ! On se croirait dans un vieux décor qui tombe en ruine. Du carrelage aux lavabos, en passant par la peinture sur les murs, tout est terne et vieilli. Un des néons au plafond se met à clignoter. Un robinet goutte. Bienvenu au royaume du glauque ! Je crois que je ne vais pas m’éterniser ici finalement, Freddy Krueger risque d’apparaître à tout moment. Je me dirige rapidement vers la porte. Elle s’ouvre avant que je ne l’atteigne. Je sursaute en criant. Mais je me rends aussitôt compte que ce n’est pas le méchant qui a traumatisé mon enfance qui se trouve en face de moi, mais un… cow-boy. Je vous assure. Un vrai cow-boy avec un Stetson et un bandana rouge autour du cou. Je ne lui laisse pas le temps d’ouvrir la bouche et je sors des toilettes en courant.

Je suis dans le couloir et je me sens un peu ridicule. J’hésite à partir. Cet endroit est tellement bizarre. Mais je sens une force étrange qui me pousse à rester. Foutue curiosité malsaine ! Un homme brun et une femme blonde passent à côté de moi et entrent dans la salle de projection. Ils ont l’air plutôt « normaux ». Je décide de les suivre. La salle ressemble à un vieux théâtre. Un rideau rouge est tiré devant l’écran. Je m’installe juste à côté du couple. Mon fauteuil est recouvert d’un doux velours bleu. Je m’y sens plutôt bien. Du moins jusqu’à ce que j’entende la musique de fond. Ou plutôt une voix qui murmure en boucle : « Silencio ! No hay banda. No hay banda. Silencio. Silencio ! Silencio… ». Mon voisin se tourne vers moi. Il me tend une bière :
« Tu en veux une ? ».
Pourquoi pas ? Je crois que ça ne me fera pas de mal. Je prends la bière et le remercie.
« C’est quoi ta bière préférée ? me demande-t-il.
– La Heineken.
– Heineken ! C’est de la merde. Pabst, voilà de la bière ! »
Ok, ok, je ne voulais pas le contrarier. Je lui souris bêtement et je m’enfonce dans mon siège pour disparaître. Un homme portant une veste en cuir s’installe juste devant moi. Je remarque qu’il trimballe derrière lui une bonbonne d’oxygène. Normal. Les lumières s’éteignent enfin. Le rideau s’ouvre. Une femme brune et pulpeuse apparaît sur l’écran. La musique démarre. Elle se met à chanter et à danser langoureusement. C’est curieux, je ne pensais pas que le film commençait comme ça. Je regarde autour de moi pour voir si les autres spectateurs sont aussi surpris que moi. Au fond, un grand-père et une grand-mère ricanent diaboliquement. Derrière moi sur la droite, deux femmes blondes se serrent l’une contre l’autre et pleurent. Sur la gauche, une femme… euh non, un homme… euh… enfin bref ! A côté de moi, le couple s’est évaporé. Et devant… Ohlala, l’homme devant moi inspire de toutes ses forces dans son masque à oxygène. Bon, je m’en vais. Je me glisse discrètement à quatre pattes vers la sortie. L’homme de devant est en train de mordre dans le velours bleu de son fauteuil. La voix de la femme sur l’écran s’enraille et des faisceaux de lumière violets se mettent à partir dans tous les sens. Heureusement que je ne suis pas épileptique ! Je continue à avancer pour sortir rapidement de ce cauchemar. Ma main cogne contre une chose visqueuse et poilue par terre. Je l’attrape bêtement pour voir ce que c’est. Mon sang se glace, je jette la chose et je me précipite à l’extérieur en hurlant.

Dehors, le soleil brille toujours…

Cam' dans un film

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Un texte inspiré de…

Blue Velvet, David Lynch BLUE VELVET – 1986

Genre : policier, drame, thriller
Réalisateur : David Lynch
Scénariste : David Lynch
Avec : Kyle MacLachlan, Isabella Rossellini, Dennis Hopper, Laura Dern…
Bande originale : Angelo Badalamenti

Pour en savoir plus :
Voir la bande-annonce de Blue Velvet
– Quand Dorothy Vallens chante « Blue Velvet »
– La fiche technique complète du film sur Allociné
– Ecouter la bande originale de Blue Velvet sur Spotify


Mulholland Drive, David Lynch MULHOLLAND DRIVE – 2011

Genre : fantastique, thriller, drame
Réalisateur : David Lynch
Scénariste : David Lynch
Avec : Naomi Watts, Laura Elena Harring, Justin Theroux…
Bande originale : Angelo Badalamenti

Pour en savoir plus :
Voir la bande-annonce de Mulholland Drive
– La scène au Silencio qui a, en partie, inspiré mon texte
– La fiche technique complète du film sur Allociné


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