1er janvier 2013, 5h47. Il pleut. A ma droite, sous l’abribus, deux garçons de 20 ans se mangent goulûment la bouche. A ma gauche, une bande de filles saoules ricane. Elles parlent de Lucie qui est partie de la soirée avec Alex. « C’est une chaudasse de toute façon. Elle voulait le pécho devant Léo pour se venger ». Assis sur le trottoir, un gars a la tête sur les genoux. Il est à demi-conscient mais ses amis ont l’air de s’en moquer. Je lui ai vaguement demandé si ça allait. Il a failli me vomir dessus. Je me suis rassise sur mon banc.
Le bus arrive. Je grimpe, suivie de la bande. « Jeune fille, tu vas me faire le plaisir de valider ton ticket », crie le chauffeur à l’une des piailleuses de l’abribus. Je me faufile à travers les fêtards plus ou moins endormis jusqu’à une place dans un carré au fond. Le bus démarre. A travers la fenêtre, je vois le garçon mal en point. Il est toujours assis mais il a redressé la tête. Il regarde le bus partir sans réagir.
En face de moi, un couple s’embrasse. Décidément… A côté, un jeune frisé avec un bandeau dans les cheveux a l’air très en forme. Comme la plupart des passagers du bus, il pue l’alcool et la cigarette. Il me regarde et me tend la main. « High five ? ». Je le regarde en souriant. Et je frappe dans sa main. « Tu sais où c’est Châtelet ? Tu pourras me prévenir. Parce que je ne sais pas où c’est et il faut ABSOLUMENT que je descende à Châtelet. Ces deux lovers (il montre le couple en face), ils ne veulent pas me dire où c’est ». Il pointe son index vers moi pour signifier que c’est vraiment très important. « Il faut vraiment que je descende à Châtelet». Je promets de le prévenir dès qu’on y arrivera. « Rah, tu gères ! ». Il fait un bond, puis pose sa tête sur mon épaule et ferme les yeux. Super…
Le bus s’arrête. Trois lascars à casquettes et un groupe d’étudiants défoncés montent. « Avancez vers le fond », beugle le chauffeur. « Oh, ça va, détends-toi ! », répond l’un des loustics. Ils passent à côté de moi. Ils ont bien l’intention de prendre possession de la dernière rangée du bus. Mais les pipelettes de l’abribus occupent l’espace. Un des gars essaye de passer. Une fille le bloque. Elle le regarde avec provocation : «On discute entre nous. Donc tu trouves une autre place, OK ? »… Aïe. Je n’ai pas envie d’assister à une bagarre. Tous les passagers autour de moi attendent que ça dérape. Mais non, le gars fait demi-tour et sa bande suit : « Pff, elles craignent ces meufs. Venez, on bouge ». Il sort son téléphone et met de la musique.
Dans le carré à côté, quatre minets matent discrètement les filles du fond. Elles les ont remarqués. Elles alternent entre chuchotements et ricanements. Finalement, l’une d’elles se lève et s’avance vers les mâles en chaleur. Elle se dandine et secoue ses cheveux vers l’arrière. Tellement cliché. Elle s’adresse au plus mignon : « Salut ! Pourquoi tu me regardes comme ça ? ». Silence. « Ben quoi, tu as perdu ta langue ? ». Les copains du garçon rigolent. « J’sais pas, t’as des gros seins ». Tout le bus éclate de rire. La fille devient toute rouge. Ne sachant trop comment réagir, elle décide de donner une claque au garçon et repart précipitamment vers ses amies. Les autres rient à nouveau.
Tout à coup, mon voisin se réveille. Il saute sur ses pieds, monte debout sur le siège. « On est arrivé à Châtelet ? Je suis sûre que j’ai raté Châtelet. Aïe, aïe, il faut vraiment que je descende à Châtelet ! ». Je le rassure mais il continue de crier. Le gaillard à casquette monte le son de sa musique. Tout à coup, la fille en face de moi, repousse violemment son copain : « Non, mais tu es vraiment un salaud ! Tu crois que je vais accepter ça ! ». Les gamines du fond rient et se mettent à chanter. Le minet qui aime les gros seins est blême. Il se lève tout à coup en titubant. « Chauffeur, arrêtez-vous. Il va gerber ! Il faut qu’il descende ! ». Le conducteur freine brutalement. Le jeune de Châtelet me tombe dans les bras. Les portes arrière s’ouvrent. Le minet malade descend, juste à temps. « Il ne remonte pas dans mon bus dans cet état ! », crie le chauffeur. Les portes se referment et le bus redémarre. Le jeune abandonné se retourne, sidéré que ses amis n’aient rien fait pour le récupérer. Il lève le bras droit et adresse son plus beau majeur en direction du bus. Ses compagnons de beuverie lui retournent le geste en riant.
Je regarde le plan, il me reste dix arrêts. Les minets sont en train d’allumer une cigarette. Le couple en face ne va pas tarder à rompre. Les filles du fond essayent d’imiter Beyoncé. Le lascar remonte le son de sa musique. Mon voisin a la tête posée sur mes genoux. Il se rendort. Je crois que je commence à être un peu vieille pour tout ça. Allez, l’année prochaine, je prends un taxi…
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Un texte inspiré de…
THE WE AND THE I – 2012
Genre : comédie dramatique
Réalisateur : Michel Gondry
Scénaristes : Michel Gondry, Paul Proch, Jeffrey Grimshaw
Avec : Michael Brodie, Teresa Lynn, Lady Chen Carrasco…
Bande originale : « It’s Like That » de Run DMC, « Bust A Move » de Young MC…
Pour en savoir plus :
– Voir la bande-annonce du film
– La fiche technique complète de The We and The I sur Allociné
– Ecouter la bande originale du film sur Spotify
– Gondry revient le 24 avril au ciné avec son adaptation de l’œuvre de Boris Vian, L’Ecume des jours : toutes les infos
– Et pour lire un autre texte inspiré d’un film de Gondry sur Cam’ dans un film, c’est ici !
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