« Un, deux, trois, quatre. En première. Plié, relevé et avec les bras… Equilibre. Un, deux, trois, quatre. On repose. Seconde. Demi-plié, relevé. Les bras. Un, deux, trois, quatre. On pose. On passe sur le côté. Un. Battement tendu vers l’avant. Deux. Sur le côté. Trois. Vers l’arrière. Quatre. Camille, on garde les pointes tendues ! Allez, rond de jambe. Un, deux, trois, quatre. Et… équilibre en arabesque. On recommence. Un, deux, trois, quatre. Camille, ton port de bras ! Allez, on quitte la barre et on se met en position. »

Comme d’habitude, je me place dans le fond pour qu’on ne me remarque pas. La petite croûte  sur mon omoplate droite me gratte de plus en plus. Je serre les dents pour ne pas craquer. Si je le pouvais, j’arracherais ce body qui frotte contre ma peau et je me gratterais jusqu’à ce que je ne ressente plus rien.

« Camille, devant. J’en ai marre que tu te mettes tout le temps derrière. Viens à côté d’Emilie. »

Emilie se prend pour une étoile. C’est toujours elle qui montre les exercices compliqués. Je dois admettre qu’elle est vraiment douée. Je me sens comme une grosse vache empotée à côté d’elle. Je n’ai d’autre choix que de m’exécuter et je me place juste en face du miroir.

« Tu veux bien te presser un peu. Et redresse la tête. Tiens-toi droite et essaie de nous séduire, pour une fois. Allez, musique. En cinquième. Attention, soubresauts ! Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept et huit. Quatrième et… entrechats. Allez ! Un, deux, trois, quatre. Et un, deux, trois, quatre. »

Elle se poste juste en face de moi et me fixe du regard. J’ai l’impression d’être toute nue. Elle regarde mon corps d’adolescente. Avec mes 1m70 et mes fesses rebondies, mon physique n’a rien de celui d’une danseuse classique.

« Attention, on passe en quatrième et on va enchaîner les fouettés. Et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept et huit. Un, deux, trois, quatre… Allez, Camille, attaque ! Attaque ! Allez ! Tête droite ! Tes bras ! Et tes yeux, ils regardent où là ? Il faut que tu aies un repère ! Tu danses comme un glaçon. Allez, attaque ! »

Mes pieds me brûlent. Je sens une douce chaleur dans ma pointe droite. Mon ongle s’enfonce probablement dans ma chair. Ma tête tourne, tourne, tourne… Je vais trop vite. Je tombe. Les larmes montent. Les autres ricanent autour de moi. J’entends Emilie qui soupire bruyamment. Elle me méprise.

« Relève-toi ! »

Je m’exécute, en frottant mes yeux.

« Et arrête de pleurnicher. Qu’est-ce que tu as ? Tu es perturbée ? Il faut que je te ménage ? Tu veux peut-être arrêter ? Tu pourrais être brillante, mais tu es lâche. Tu es faible. Allez, remets-toi en position ! »

Je vois trouble. Je sens mon cœur battre dans ma tête. La plaie séchée dans mon dos me gratte de plus en plus. Mes poils se hérissent sur mes bras. Mes yeux se remplissent de larmes. Je sors de la salle en courant.

C’est la dernière fois que j’ai mis les pieds – du moins, ce qu’il m’en restait – dans une salle de danse.

Et Emilie ? Et bien, depuis le temps, elle s’en est pas mal sortie…

P.S. : bien entendu, Emilie est le fruit de mon imagination… au cas où il faudrait le préciser !

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Un texte inspiré de…