Shortcut : Leto / Roma / Une affaire de famille

Trois films, trois scènes extraordinaires sur une plage. A croire qu’il s’agit du must-have 2018 pour créer un moment de grâce cinématographique où ce bon vieux « ô temps, suspends ton vol » prend tout son sens. Quoiqu’il en soit, tantôt synonyme de liberté totale, tantôt de rédemption, tantôt de bonheur éphémère, la plage, accompagnée de sa mer calme ou déchaînée, est toujours aussi photogénique. Inconsciemment, il se pourrait même qu’elle ait contribué à porter les trois œuvres qui suivent dans mon top ciné de l’année écoulée, qui sait ? Mais, bien sûr, il n’y a pas que ça. Alors assez bavardé, revenons à nos pellicules…

Leto

Leto

Leto est une beauté à l’état punk. Une ode solaire au rock, mais surtout une bouffée de liberté et d’insouciance qui vous donne envie de danser nu(e) sur une plage de la mer Baltique, au son d’une guitare acoustique, en buvant du vin de contrebande. Kirill Serebrennikov (soit dit en passant, assigné à résidence depuis août 2017) filme l’émergence d’une scène underground russe à Leningrad dans les années 1980. Alors que les prémices de la Perestroïka se font sentir, une brèche s’ouvre vers l’Occident, laissant filtrer les sons de David Bowie, Lou Reed, Marc Bolan, Bob Dylan… La jeune génération s’en empare, tente de s’émanciper et de contourner les interdits qui perdurent. Kirill Serebrennikov retranscrit l’ébullition artistique de l’époque sur un écran large drapé d’un noir et blanc somptueux qu’il parsème de séquences colorées proches du clip. Sa caméra virevolte dans de longs plans-séquences, jongle entre réalité et rêve, pour suivre plus intimement, les destins croisés de Viktor Stoï (Teo Zoo), Mike Naumenko (Roman Bilyk) et leur muse Natasha (Irina Starshenbaum). Ce triangle amoureux, ingénu et romantique, laisse une douce mélancolie se glisser sous le blouson en cuir. Ça nous rappelle que le rock n’est pas que noirceur, sexe et drogue. Il peut aussi être ensoleillé et lumineux. Il peut donner soif de liberté. Or, il se pourrait que se soit toujours une denrée (rare) à savourer…

Roma

Roma

Encore du noir et blanc… Une obsession chez moi ? Possible, mais il est difficile de nier le sublime des multiples nuances de gris d’Alfonso Cuarón dans Roma. Chaque séquence est une démonstration de mise en scène. Pourtant, à côté de cette beauté étourdissante, Alfonso Cuarón nous parle de l’intime. Son intime certes (à travers ses souvenirs d’enfance), mais surtout l’intime de Cleo (Yalitza Aparicio), nourrice dans une famille de la classe moyenne à Mexico au début des années 1970, et, plus indirectement, de Sofia (Marina de Tavira), la mère délaissée. Des portraits de femmes donc, filmés superbement mais racontés en toute sobriété, sans artifices, sans musique. Une humilité qui bouleverse, avec en point d’orgue une séquence déchirante au seul son de la respiration de Cleo et un long travelling sur une plage. Une peinture belle à vous nouer la gorge. Dommage qu’elle n’ait pas pu être davantage contemplée sur grand écran en France.

Une affaire de famille

Une affaire de famille

Palme d’or à Cannes en 2018, la nouvelle fable sociale de Hirokazu Kore-eda dissèque une fois encore la cellule familiale. Ici, il est question d’oublier les liens du sang pour révéler ceux du cœur. Au fil du premier acte, Hirokazu Kore-eda réunit dans un cocon six marginaux, voleurs à la tire de père en fils, et nous offre une série de scènes toutes plus émouvantes les unes que les autres. La délicatesse du récit fait peu à peu naître un attachement pour chaque personnage (tous remarquablement écrits et interprétés). Et l’adage « pour vivre heureux, vivons cachés » résonne comme une évidence. Mais il n’est pas question de tomber dans la mièvrerie. Le second acte déboule pour renverser toutes les (trompeuses) apparences. Le nid douillet du foyer laisse place à l’austère salle d’interrogatoire. Le drame frappe en plein visage, alors que l’attachement est toujours là. De quoi sortir de la séance interloqué, presque révolté, avec pour seule certitude que ce récit profondément humaniste va vous chambouler encore quelques temps.

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